Voici un exercice que nous a demandé Mme Audin. Au départ, nous recevons une peinture par groupe de deux. Nous avons reçu "Le cauchemar" de Füssli. Après divers exercices, nous avons eu pour tâche de rédiger l'histoire de ce tableau et de considérer celui-ci comme étant la situation finale de notre nouvelle.
Aujourd'hui, c'est la
dernière ligne droite avant la fin de ce procès qui me préoccupe depuis des
semaines. Des heures et des heures passées à chercher la faille qui pourra
sauver mon client de la condamnation, des nuits entières à travailler et la solution
m'est apparue comme si je l'avais toujours eue sous les yeux : faute de
procédure lors de l'arrestation. Le juge appelle mon client à la barre,
j'espère que tout se passera bien. En principe, ça devrait ; on s'est assez
bien préparés. Nous venons encore de réviser sa défense.
Ce n'est pas l'affaire la
plus facile dont je m'occupe : viol sur mineure suivi d'un meurtre. Vraiment
pas le genre d'affaire qui enchante le plus les jurés... Mais j'ai confiance,
car sans me vanter, je suis la meilleure dans mon domaine. Jusqu'ici, aucune
bourde : mon client est calme et répond aux questions qui lui sont posées
avec fluidité et décontraction. Pour peu, on croirait qu'il est simplement
accusé d'avoir volé un bonbon. Ça y est, chaque partie a interrogé l'accusé et
les jurés se retirent pour délibérer. Je pense qu'on va gagner, mais rien n'est
encore joué. J'ai bien fait d'invoquer la faute de procédure lors de
l'arrestation de mon client, cette faute devrait le sauver. Je sais qu'il est
coupable, mais je me dois de le défendre, pour mon bien vous comprenez. J'ai
tellement besoin d'argent. Non pas parce que je n'en ai pas, au contraire je
vis très bien : je suis issue d'un milieu aisé et possède plusieurs
appartements en ville. Si j'ai besoin de cet argent, c'est bien pour pouvoir
enfin clouer le bec à mon père qui me pense incapable de réussir comme lui.
Puis après tout, c'est le propre de l'homme de toujours vouloir plus... Je ne
fais pas exception à la règle.
Les jurés ont fini de
délibérer et déclarent l'accusé non coupable. Même si j'étais persuadée de
gagner, me voilà soulagée. Il y a toujours un doute, mais maintenant je sais
que j'aurai mon argent et je me fiche de savoir si oui ou non mon client a
violé et tué cette jeune enfant ; tout ce qui m'importe, c'est mon salaire et
ma réussite, peu importe qui je dois défendre pour ça. Je suis persuadée
d'avoir fait le bon choix et la culpabilité ne m'effleure même pas.
En sortant du tribunal, je
croise les parents de la victime. La mère est effondrée : elle pleure et crie
justice ; le père quant à lui me lance un regard mauvais, va jusqu'à m'insulter
et me maudire pour mon insensibilité. Je n'en ai cure, j'ai fait mon travail,
je serai payée pour, ça s'arrête là. Mon client n'aura pas cette chance : il se
fera assassiner par le père de la victime, qui devra purger la peine dont mon
client aurait dû écoper si l'on n'avait pas gagné le procès. Des vies sont
gâchées à cause de moi, mais je n'en ressens pas la moindre culpabilité. Après
tout, je vis pour moi et non pas pour les autres.
J'ai touché plus d'argent que ce que je ne
l'espérais. La belle vie m'attend et mon père en restera muet. Je ne tarde pas
à m'acheter une belle maison à la campagne et m'y installe très vite, j'ai même
engagé un majordome. Je suis vraiment devenue quelqu'un et n'en suis pas peu
fière. J'organise une petite soirée et invite mes parents pour qu'ils
constatent ma réussite. On mange et boit à foison. Ma mère est fière de moi,
mais mon père trouve honteux que je m'en sorte en ayant protégé quelqu'un que
je savais coupable. Il est jaloux, voilà tout ! La soirée s'achève et tout
le monde part, mon père me dit en partant qu'un beau jour, je devrai payer pour
ce que j'ai fait et que la culpabilité me rattrapera plus vite que je ne le
pense. Je n'en suis pas persuadée. Qui donc pourrait me juger parce que j'ai
fait mon travail ?! J'ai fait le bon choix et je l'ai fait pour moi et personne
d'autre, tant pis si à lui, ça ne lui plaît pas. Après cette soirée plutôt
réussie, je décide d'aller me coucher. Arrivée dans ma chambre, je sens que
quelque chose ne va pas. Je chancèle, ma vue se brouille et je me sens mal.
J'appelle mon majordome et lui demande de m'aider. Il me regarde et un sourire
se dessine sur son visage. Il m'annonce que mon père avait raison et que ce
soir, justice sera faite. Il m'explique alors que la victime de mon client
était sa nièce. Effroi. C'était une petite fille très gentille qui faisait le
bonheur de ses parents. Tous les jours, elle allait aider sa vieille voisine à
entretenir sa maison, sortait son chien et nourrissait ses chats. Bref, la
petite fille que tout parent rêve d'avoir. Déterminé à la venger, il s'est fait
engager chez moi et a fini par m'empoisonner. Je comprends que je vais mourir.
La peur commence à s'insinuer en moi, ensuite le regret, puis le pire : la
culpabilité. Pendant qu'il m'observe, je divague et commence à halluciner, je
vois des êtres difformes et effrayants : une gargouille, une tête de cheval au
regard fou, le tout dans une ambiance lugubre. Qu'est-ce que cela signifie ?
Que représentent-ils ? La mort ? La peur ? Non, ce n'est rien de ça. Ces
créatures sont ma culpabilité qui vient me hanter, elles sont les
représentations du mal que j'ai fait, de l'injustice que j'ai laissé opérer et
je vais mourir accompagnée du sentiment que je redoutais le plus...
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